Microsoft Word - Introduction historique au droit _ YS (1).docx part 3

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33 Enfin, il faut remarquer que la compilation justinienne achève le mouvement de main mise de l’Empereur sur le droit et plus encore sur la jurisprudence. La compilation est en effet officielle, reçoit force obligatoire, parce qu’elle émane de la volonté impériale. Elle consacre ainsi le triomphe de la loi, au sens de la loi impériale. L’empereur parvient aussi à affirmer son entier monopole sur le droit, puisque toutes les sources du droit sont reprises dans la compilation impériale. Également, l’Empereur se réserve, seul, la possibilité d’interpréter le droit contenu dans la compilation, au cas où un doute subsisterait. Proclamant cela, l’Empereur interdit tout pouvoir d’interprétation à ses juges, et c’est là une caractéristique traditionnelle lorsque le pouvoir législatif impose toute sa puissance, lorsque la loi doit triompher. Reste une dernière précision : la compilation justinienne règle définitivement la question que nous avons peu abordé : les rapports de la hiérarchie entre l’Empereur et la loi. Tant qu’il était seulement Princeps, le premier d’entre tous, l’Empereur entendait demeurer soumis à la loi et nous avons vu qu’Auguste ne voulait pas, du moins au départ, faire la loi, voulant laisser le Sénat remplir la fonction législative, comme si l’Empereur se soumettait à la puissance sénatoriale, refusant d’apparaître supérieur. Nous avons vu aussi que peu à peu, les empereurs ne prennent plus cette peine et qu’au cours du IIe siècle, ils édictent eux-mêmes le droit, la loi, qui n’est plus l’expression de la volonté générale. C’est justement au IIe siècle que sont définis les rapports entre l’Empereur et la loi, et qu’est réglée la question de la soumission de l’Empereur à la loi. Si l’Empereur a le pouvoir de créer la loi, y est-il pour autant soumis ? Cette soumission, soumission par exemple aux lois édictées par les empereurs antérieurs, viendrait-elle alors limiter son pouvoir créateur, son pouvoir législatif ? Est-ce acceptable ? Est-ce le sens que l’Empereur entend donner à son autorité ? Clairement non, et c’est Ulpien qui formule au IIe siècle l’idée fondamentale selon laquelle le Prince est dispensé, délié des lois, Princeps legibus solutus est. Cette idée sera riche de conséquences pour la réflexion politique. Sur cette formule et sur le terme solutus, sera en effet forgée la notion d’absolutisme en France et ailleurs en Europe, à la fin de l’Ancien Régime ; l’absolutisme signifiant au sens strict que le roi n’est pas soumis aux lois. Ainsi, nous achevons l’étude des sources du droit romain qui ont tellement compté dans la construction de notre droit et des droits européens. L’importance du droit romain commence à apparaître, elle se mesurera davantage tout au long des études de droit mais d’ores et déjà, nous pouvons, au travers de quelques exemples précis,.

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34 présenter rapidement, dans un chapitre beaucoup plus bref que le précédent, l’influence du droit romain sur notre droit. CHAPITRE II : L’INFLUENCE DU DROIT ROMAIN SUR NOTRE DROIT Pour ne choisir que deux exemples, nous avons essentiellement retenu du droit romain une méthode, laquelle explique pourquoi, alors que le droit romain n’est plus appliqué, il est toujours enseigné dans les pays de tradition romano-germanique. Nous prendrons l’exemple de la méthode de classification (Section I). Nous devons aussi aux Romains la détermination de la fin du droit, du but qu’il poursuit, au travers de la définition de l’idéal de justice (Section II). SECTION I : LA METHODE ROMAINE DE CLASSIFICATION Cette méthode est d’abord celle des classifications. Quand les jurisconsultes romains se mettent à définir les concepts juridiques, ils prennent aussi soin de les classer entre eux, c’est-à-dire, comme nous l’avons vu pour les sources du droit, d’établir une hiérarchie. Les jurisconsultes, inspirés par la philosophie grecque, ont ainsi distingué les règles de droit suivant les sujets de droit, ceux auxquels elles sont destinées. Nous savons qu’à l’origine, les seuls sujets du droit romain étaient les citoyens. Le droit civil forme donc un premier corps de règles. Nous avons conservé l’expression pour désigner une branche du droit qui comprend les règles relatives aux personnes et à la famille, aux biens et aux obligations, aux contrats... Mais les auteurs romains ont rapidement dû dépasser le cadre du seul droit civil car du fait de la politique de conquête menée par Rome au IVe siècle, les étrangers affluent massivement sur le territoire romain. Ces étrangers n’étant pas citoyens, et si Rome veut favoriser le commerce notamment, avec ces étrangers qui sont essentiellement des commerçants, elle doit leur ouvrir son droit, protéger leurs activités. Nous avons vu qu’elle le faisait en instituant notamment un préteur pérégrin, en 242, compétent pour tous les litiges qui intéressent des étrangers. Ce préteur ne pouvant pas appliquer aux étrangers le droit civil, il va, aidé par les jurisconsultes, créer de nouvelles règles de droit, lesquelles vont former un corps nouveau de principes que l’on appelle le jus gentium, littéralement le droit des gens, ou plutôt, le droit commun à tous les hommes, par-delà leurs différences politiques et juridiques. Il s’agit là de droits élémentaires qui permettent la vie des affaires puisque la protection du commerce est le but premier de ce droit. Relèvera par exemple du jus gentium le contrat le plus répandu dans la vie des affaires romaine : le contrat de vente, ou encore le contrat de société..

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35 Comme pour le droit civil, nous avons conservé là encore la même expression de jus gentium, quasiment toujours traduite par celle de droit des gens. Le sens de l’expression a toutefois évolué puisqu’elle fait plutôt référence à ce que l’on appelle aujourd’hui le droit international public, les règles qui s’imposent aux États dans la vie internationale, par exemple en temps de guerre, pour la protection des civils, des villes, des biens culturels, etc. Enfin, les jurisconsultes romains ont défini un dernier corps de règles, inspiré de la philosophie d’Aristote et qu’ils appellent le droit naturel, jus naturale. Il s’agit là du droit commun non pas aux citoyens, non plus aux hommes mais à tous les êtres vivants. Ce sont toutes les lois que la nature leur dicte. Certaines tiennent à l’organisation de la famille : l’union des couples en vue de la procréation, l’éducation des enfants… D’autres tiennent à l’organisation de la vie sociale : le fait de s’organiser en société, le fait de se doter d’un chef… Nous avons là encore conservé ce concept de droit naturel, avec le même sens que lui donnaient les Romains. Notons enfin l’idée de hiérarchie qui s’impose : le droit naturel est supérieur, forme un ensemble, le droit des gens étant un sous-ensemble, pour les hommes seulement, le droit civil étant encore un sous-ensemble, pour les citoyens seulement. SECTION II : LA DEFINITION DE L’IDEAL DE JUSTICE Nous avons vu qu’aux origines, le droit romain est un droit religieux, le fas, les règles de droit étant, quand elles n’étaient pas coutumières, inspirées par les dieux aux pontifes qui étaient seuls susceptibles de les interpréter. La règle de droit n’avait pas alors spécialement à être juste, la question ne se posait pas. Il suffisait qu’elle soit inspirée par les dieux pour s’imposer sans discussion. En effet, un commandement divin ne se discute pas ! Nous avons vu qu’ensuite, la Loi des XII Tables marque une étape décisive vers la laïcisation du droit, et que désormais, le pontife n’est plus le maître du procès, remplacé par un magistrat, le consul puis le préteur. Nous avons pu voir alors que si le droit se détache de la religion, il s’appuie, à partir du IIe siècle notamment, alors que Rome achève la conquête de la Grèce, sur des notions non plus religieuses mais morales, des règles de conduite détachées de toute croyance, et notamment sur le concept d’équité. Dans les deux définitions du droit que nous livrent les auteurs, l’on retrouve cette idée d’équité : le droit est l’art du bon et du juste, ars boni et aequi, écrit Celse au IIe siècle, tandis qu’Ulpien écrit au IIIe siècle que le droit doit tendre à attribuer à chacun.

Scene 4 (3m 15s)

36 ce lui revient, suum cuique tribuere. Cette notion d’équité qui apparaît comme la fin du droit, le but poursuivi par la règle de droit, correspond à un idéal de justice. Aristote explique ainsi et les auteurs romains reprennent son analyse, que la règle de droit étant rédigée pour l’ensemble des sujets, elle est édictée en des termes très généraux, elle n’est pas spécialement adaptée au cas particulier. Ainsi, quand il s’agit d’appliquer la règle de droit à un problème spécifique, il se peut qu’elle produise des conséquences injustes. Prenons le cas d’une loi romaine qui affirme que celui qui ne paie pas ses dettes dans le délai convenu finit par tomber sous la puissance de son créancier, qui peut le vendre, le faire travailler comme esclave ou le mettre à mort. Cette loi a vocation à inciter les débiteurs à honorer leurs engagements. Elle ne prend pas prendre en compte les nombreuses exceptions que l’on pourrait admettre, par exemple quand le débiteur est empêché parce qu’il est retenu à la guerre. Imaginons justement qu’un créancier réclame en justice le paiement d’une dette pour laquelle le débiteur est très en retard. Si l’on applique la loi telle quelle, le débiteur doit être condamné, et peu importe qu’il ait une bonne raison pour ne pas avoir honoré son engagement dans les délais. Une telle application, quasi mécanique, aboutit bien à une conséquence injuste. Aristote et les auteurs romains nous expliquent alors qu’il est possible de corriger une telle disposition au moyen de l’équité. L’équité et la justice, en tant qu’idéal, commandent en effet de ne pas sanctionner celui qui n’a pas pu payer sa dette parce qu’il ne pouvait être à Rome le jour où il aurait dû payer, a fortiori si ce débiteur était retenu à la guerre, pour la défense de la cité romaine, intérêt supérieur qui doit céder devant la loi, même si elle ne l’a pas prévu. Cette équité, explique Aristote, il revient au juge de la mettre en œuvre, car le juge doit appliquer la loi, laquelle doit demeurer générale, au cas particulier. Ce travail ne doit pas incomber au législateur qui raisonne pour la masse mais au juge qui raisonne pour le particulier. Cette notion d’équité est donc d’une grande importance et recèle un grand pouvoir potentiel, celui de modifier la règle de droit, voire de l’écarter, pouvoir qui peut être exercé dangereusement et pas toujours dans un but de justice..